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Posts Tagged ‘Bolivie’

Merci Monsieur Morales

C’était un samedi ou un dimanche, je ne me souviens plus très bien, encore qu’à y réfléchir ce devait être un dimanche. Le samedi on travaille.
C’était vraisemblablement la plus grande, la plus belle et la plus ancienne des haciendas des environs de latacunga. Les eucalyptus bruissaient dans la campagne environnante, vallonnée, colorée de cultures diverses, un volcan montrait au loin de temps en temps sa tête, la sortant des nuages qui l’entouraient, comme un dieu à la fois égoïste et distrait.
Les bâtiments étaient d’époque coloniale, superbes, orgueilleux, immenses. Ils surplombaient une place où s’était retrouvée une foule bigarrée, curieusement silencieuse. Les femmes arboraient fièrement un chemisier blanc, brodé à la main de couleurs multiples dont les motifs rendaient un hommage à la nature, aux fleurs et aux colibris. Les jupes étaient longues, d’un bleu obscur, simplement relevé par un ruban blanc aux motifs incas. Elles portaient un chapeau en feutre, certaines en portaient deux pour bien faire remarquer qu’elles étaient veuves.
Les hommes avaient leur poncho du dimanche, du même bleu que les jupes des femmes, leur pantalon était d’un blanc immaculé.
Ils avaient tous des sandales de corde aux pieds. Enfin les moins pauvres, pour les autres, ils étaient pieds nus, il valait mieux aller ainsi que de porter des sandales usées.
Les enfants, impeccablement habillés, comme leurs parents, s’accrochaient silencieux aux jupes de leurs mères.
Leurs familles vivaient sur ces terres depuis longtemps, bien avant la construction de l’hacienda, elles appartenaient à cette terre et remerciaient chaque jour la Pachamama d’avoir fait parti de celles qui étaient restées pour aider le colon espagnol et non de celles qui furent chassées plus haut dans la montagne, là ou n’a jamais poussé grand-chose, ou tout simplement abattues.
Sur la place, devant eux, se tenait le capataz, c’est-à-dire le contremaître.
Bien entendu il était indien comme eux, un peu moins peut-être, le résultat d’un droit de cuissage coutumier et ancien. Allez savoir.
Et puis il ne s’habillait pas pareil, pas encore comme les maîtres, il s’en fallait de beaucoup, mais la grosse ceinture de cuir, le bâton de commandement qu’il arborait fièrement aujourd’hui étaient les symboles de son pouvoir.
Personne n’osait laisser son regard monter discrètement les marches qui étaient derrière lui et qui menaient directement à une vaste terrasse où les propriétaires étaient venus en famille, comme tous les ans, assister à cette fête qui clôturait l’année et le dur travail des récoltes.
Eux aussi étaient sur leur 31. Pantalons légers, blazer bleu marine et chemise blanche dont le col ouvert laissait entrevoir un foulard de chez Hermès. Les femmes en robes de cocktail ricanaient dans un coin, laissant aux hommes le plaisir de maintenir les traditions ancestrales de la famille.
Le personnel de l’hacienda, en habit traditionnel lui aussi, passait régulièrement entre eux et leurs invités pour servir les boissons et les amuses-gueules.
Mais le capataz commença à parler. Ce furent d’abord des reproches pour ceux qui n’avaient pas accompli leurs tâches. Ils étaient nommés, ils s’avançaient et devaient confesser leurs fautes devant leurs frères et leurs maîtres.
Ils enlevaient leur chapeau, baissaient la tête, et débitaient une litanie incompréhensible. Il aurait fallu voir leurs yeux, la haine devait y être plus forte que la contrition.
Puis vint le moment des félicitations, pas trop quand même, une poignée d’entre eux furent nommés. Ils eurent le droit de monter les marches et de baiser la main du Maître qui les remercia en leur donnant quelques pièces.
Enfin on les fit se diriger vers un immense préau ou les attendait de la nourriture, beaucoup d’alcool de canne. Une vieille télé passait en noir et blanc un épisode de Dallas.
Un prêtre pas rasé, les yeux glauques et la robe tachée, s’empressa de l’éteindre et leur fit de nouveau baisser la tête afin de remercier le ciel du grand honneur qui venait de leur être fait.

Cela aurait pu se passer en Bolivie. Ce fut en Équateur. Peu importe, c’était juste pour dire : merci, Monsieur Evo Morales.

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